Démocratie locale et participative
On pourrait se demander si c’est bien le rôle de Belle Rive de s’intéresser à cette question.
Notre mission est de répondre aux attentes des habitantes et des habitants dans le cadre du projet social de l’association : contribuer à l’amélioration des conditions de vie, au développement de l’éducation et de l’ouverture culturelle, à la prévention des exclusions, au renforcement des solidarités et de la citoyenneté, à l’amélioration de la santé…
A ce titre, Belle Rive est un acteur des politiques publiques décidées nationalement et localement. Dans cette perspective, la démarche participative est un outil essentiel pour la mise en œuvre de notre projet social : nous faisons avec les habitants et non pas pour eux. Nous inscrivant dans une volonté de transformation sociale, il nous faut nous poser la question du partage du pouvoir et du savoir.
Belle Rive n’est pas un ilot isolé, Belle Rive participe à la vie et à la démocratie locale.
Comment notre démocratie peut-elle s’enrichir de plus de participation des habitants ? La démocratie participative s’oppose-t-elle à la démocratie représentative ou peut-elle être complémentaire ?
Nous avons souhaité pour ce dossier, recueillir différents avis de manière à éclairer ces questions.
Le groupe Communication
Entretien avec David Delavaud, habitant de Saint Bris-des-Bois
Pour lui, la démocratie locale est un système dans lequel les citoyens participent aux décisions qui les concernent : on peut parler de démocratie de proximité. Elle passe avant tout par l’implication des citoyens.
Elle peut s’enrichir par les décisions mais également par l’écoute et les échanges avec les citoyens pour connaître leurs besoins, leurs contraintes et leurs envies. Ils doivent aussi être au centre pour les orientations, les choix à faire et les décisions qui les concernent. Il est nécessaire d’avoir une pluralité de points de vue pour faire des choix et décider. Il existe des outils comme le référendum qu’il faudrait utiliser davantage.
Au final, il faut repenser le système démocratique, ne pas simplement le réviser ou le modifier mais repenser la démocratie en s’inspirant du modèle d’Athènes qui dans l’Antiquité s’appuyait sur le peuple de la cité et avait différentes composantes : les sages, les penseurs et les citoyens.
Entretien avec Agnès Pottier, maire de Migron (environ 750 habitants)
Pour elle, il est important que la commune prévoie des temps de rencontre pendant lesquels les citoyens sont invités à réfléchir avec les élus de la commune sur des thèmes précis pour que les habitants prennent part aux décisions. Certains participent et c’est très bien mais c’est toujours le même petit noyau de personnes.
Des habitants mécontents le font savoir en appelant la mairie. Il semble très important à Agnès Pottier que les habitants interviennent pour améliorer les choses en fonction de ce qui les met en colère. Les élus souhaiteraient pouvoir les rencontrer pour travailler et échanger à partir de leurs préoccupations mais il est compliqué de faire venir et d’impliquer les citoyens sur des temps d’expression, d’échange et de réflexion. Parfois, malgré les invitations, personne ne vient.
Sur le site Internet, un espace est prévu pour que les migronnais puissent s’exprimer par écrit. Le site est fréquenté mais la mairie reçoit peu d’expression écrite.
En tout cas, à Migron, ce n’est pas une personne ou quelques personnes qui prennent les décisions mais l’ensemble du conseil municipal. Depuis deux ans, avec la crise sanitaire, il est encore plus difficile d’être en contact avec les habitants de la commune. Les temps forts n’ont pas pu avoir lieu et les rencontres au sein de la mairie ont été restreintes.
Les relations reprennent petit à petit, par exemple avec le repas des ainés ou la journée Téléthon.
Agnès Pottier ne sait pas pourquoi c’est aussi compliqué d’impliquer les habitants. En revanche, la mairie est en lien avec les associations proches des différents publics qui composent la population migronnaise.
Entretien avec Lionel Laval, habitant de la cité Sébastien de Bouard à Saintes
« La démocratie, c’est parler, avoir des idées, prendre des décisions à plusieurs, pour le bien des habitants ou de la ville. On vote pour des choses, on les met en place et on voit si c’est bien ou pas. C’est comme partout, il y a des gens qui n’osent pas, qui ont peur. Si tu veux faire quelque chose, c’est bien d’être solidaire avec les autres, sinon chacun gueule de son côté et ça ne débouche sur rien !
Dans le collectif qui regroupe des habitants de la cité pour tenter d’améliorer la qualité de leur logement, il y a des gens qui parlent, d’autres qui écoutent. Tout le monde n’a pas les mêmes compétences, il faut essayer de faire fonctionner la complémentarité. C’est ce qui s’appelle former des équipes, travailler en équipe. En se regroupant, on a pu constituer ce collectif et s’exprimer sur les réseaux sociaux, se faire entendre. Maintenant on a Internet, les numéros de téléphone des uns et des autres, on peut s’appeler, s’informer. C’est comme ça qu’on a pu rédiger des dossiers et qu’on a pu aller vers les partenaires, les élus, le bailleur social et ensemble, on a plus de poids !
Avec la situation sanitaire, tous les projets ne se sont pas réalisés. On n’a pas le gâteau, mais on a des miettes, des petits bouts. C’est toujours mieux que si rien ne bouge, il faut le temps.
Dans la ville, il faut d’abord s’occuper de son paillasson, et si on arrive à faire quelque chose sur place alors après on peut élargir le regard, voir le quartier et ses problèmes, voir si on peut faire quelque chose pour que les gens vivent mieux. Petit à petit, on arrive à s’occuper de choses qui dépassent les préoccupations personnelles. Le cercle s’élargit, on s’aperçoit que d’autres font d’autres choses là où ils sont, petit à petit on peut envisager de se regrouper, les cercles s’agrandissent.
De toutes façons, tout passe par le dialogue entre les habitants, les voisins, puis avec des associations (par exemple Belle Rive) qui nous aident à nous structurer, à nous organiser. Après il faut savoir taper à la bonne porte et s’adresser aux instances, aux autorités. C’est comme ça que ça peut marcher, et ça va marcher, enfin, pourvu que ça marche ! ».
Entretien avec Monique Demelle, co-présidente de l’association Belle Rive
« La question de la démocratie locale peut être abordée de deux façons différentes.
La première correspond à minima à la démocratie représentative à travers les différentes institutions présentes : commune, communauté d’agglomération, département, région. Cependant, cette forme de démocratie a des limites : les élus au pouvoir ne représentent qu’une faible part des électeurs, les instances de décisions n’offrent que peu d’espaces de débat et les habitants n’ont pas de place dans ces instances. Par ailleurs, même si un mouvement de décentralisation s’est opéré pour être au plus proche des territoires et des réalités des habitants, un mouvement inverse lui a succédé avec le développement des communautés de communes, d’agglomération jusqu’aux grandes régions. Ainsi, la décentralisation-recentralisation a abouti à l’éloignement des habitants des centres de décision, à moins de proximité avec les réalités vécues par ceux qui habitent les territoires.
La deuxième façon de concevoir la démocratie locale serait donc qu’elle puisse s’enrichir de plus de participation des habitants aux prises de décisions qui les concernent. Cette conception de la démocratie est peut être un rêve mais il existe des expériences à une échelle réduite comme Belle Rive qui prouvent que cela fonctionne. Avec les habitants, nous pouvons partager des constats, identifier des besoins et envies qui concernent l’amélioration de leur vie quotidienne, construire des réponses appropriées et les faire évoluer.
Pour moi, la démocratie locale et participative commence par de telles initiatives qui renforcent l’engagement des habitants-citoyens et peuvent enrichir parfois les représentations et les décisions des élus. Faire avec les personnes concernées, recréer du lien, stimuler des valeurs de coopération, élaborer ensemble des solutions appropriées, c’est ce que nous essayons de développer à Belle Rive.
Une des conditions pour développer ce type d’initiatives est avant tout de recréer du lien entre les habitants d’un territoire. Recréer du collectif là où l’individualisme a pris toute la place. Pour ce faire, nous pourrions développer des valeurs de coopération plutôt que de compétition dès le plus jeune âge.
Si nous voulons que ces initiatives se démultiplient pour que la démocratie locale s’enrichisse de plus de participation, il est également nécessaire qu’existe une volonté politique forte. Certaines expériences de démocratie participative à l’échelle d’une ville, comme c’est le cas à Grenoble, nous prouvent que c’est possible ».
Entretien avec Jacques Rodde, délégué à la fédération départementale des centres sociaux (17)
Pour lui, la démocratie locale est le transfert d’un pouvoir de décision, au sein des différentes structures territoriales, pour être au plus près des habitants. Il va donc de l’Etat vers les régions, départements et communes. A l’échelle communale, les décisions concernant les habitants devraient être prises par eux, en les associant en amont lors de leur préparation et en aval pour leur suivi.
Démocratie représentative et démocratie participative ne doivent pas s’opposer, mais s’enrichir l’une de l’autre.
L’étape ultime de la participation est de définir collectivement des missions, des responsabilités et construire des projets pour créer et augmenter le pouvoir qu’on a sur soi et sur son environnement. Cependant cette démarche collective se heurte à deux écueils :
Les contraintes liées aux institutions, Les difficultés du fonctionnement d’un collectif, où il apparait qu’il n’est pas possible d’associer tout le monde aux prises de décisions sur tous les sujets.
Pour fonctionner, les citoyens doivent se saisir des sujets qui les intéressent, les motivent ou les préoccupent.
Dans son explication concernant la démocratie participative, Jacques Rodde mentionne l’échelle de participation d’Arnstein (de la manipulation aux prises de décisions).
En 1969, Sherry Arnstein, une consultante américaine a proposé l’idée d’une échelle de participation comprenant plusieurs niveaux, chaque barreau mesurant le pouvoir du citoyen. A mesure que l’on gravit les barreaux, on s’élève d’un niveau moins participatif à un niveau plus participatif, le pouvoir des habitants étant plus ou moins grand. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de Belle Rive (lien échelle participation Arnstein).
Par ailleurs, Jacques nous précise que la CNAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales) fait de la participation un principe méthodologique incontournable pour les Centres Sociaux. Elle précise les modalités de participation qui correspondent à cinq niveaux d’engagement :
La présence, consommation de services ou d’activités ;
L’implication dans une instance d’information et de consultation ;
La contribution momentanée à une activité ou à un projet collectif ;
La collaboration « permanente » et la prise de responsabilité ;
La contribution au processus de décision.
Source : https://www.reseau-pwdr.be/sites/default/files/fiche_32%20Echelle%20Participation.pdf
La force de la démocratie locale c’est l’engagement civique des citoyens
Pour conclure, il nous semble important de rappeler que Belle Rive est un centre social affilié à la Fédération Nationale des centres sociaux et socio-culturels de France (FCSF). Pour mener à bien ses missions, Belle Rive s’appuie sur de nombreuses références : la charte fédérale des centres sociaux, l’éducation populaire, la pédagogie des opprimés de Paulo Freire, le pouvoir d’agir selon Yann le Bossé…
Voici donc un extrait de la charte fédérale de centres sociaux qui légitime le travail mené sur les différents territoires et définit une ligne à laquelle Belle Rive se réfère pour aborder les questions de démocratie et de démocratie locale.
« Se plaçant dans le mouvement de l’éducation populaire, les Centres sociaux et socio-culturels fédérés réfèrent leur action et leur expression publique à trois valeurs fondatrices : la dignité humaine, la solidarité et la démocratie.
La démocratie. Opter pour la démocratie, c’est, pour les Centres sociaux et socio-culturels, vouloir une société ouverte au débat et au partage du pouvoir. Les Centres sociaux et socio-culturels entendent établir, et au besoin conquérir, avec et pour les habitants d’un quartier, d’une ville, d’une agglomération ou d’un pays, des espaces de discussion et de participation à des prises de décision concernant leur vie quotidienne et celle de la collectivité. Opter pour la démocratie c’est aussi s’engager concrètement dans des actions collectives, mêmes modestes, dont les finalités, les modalités et les résultats peuvent être débattus. La démocratie participative, en proposant, en agissant, en contestant, est nécessaire à la vie politique locale. La force de la démocratie locale c’est l’engagement civique des citoyens. »
Les entretiens que nous avons menés, retranscrits et synthétisés pour ce dossier, nous confortent dans la conviction que le rôle de Belle Rive est bien de favoriser l’implication des habitants dans la vie de la cité. Tout au long de l’année, de manière informelle, des témoignages nous sont transmis quant à l’intérêt de travailler avec les habitants sur la question de la démocratie locale.
Il est clair que ce débat n’est pas clos. Belle Rive, en tant qu’acteur du territoire, continuera à œuvrer pour que chaque habitant et/ou chaque collectif d’habitants développe sa capacité à agir et s’implique dans la vie de la cité, en lien avec ses forces vives.
Pour tout savoir sur le projet social de Belle Rive,
rendez-vous sur notre site : https://assobellerive.centres-sociaux.fr
Citoyenneté et pouvoir d’agir, une complémentarité indéniable !
Lorsque le groupe Communication de Belle Rive a décidé de consacrer un dossier à la question du rapport entre pouvoir d’agir et démocratie locale, j’étais déjà en plein travail de montage de la série de dix films que je réalise avec l’Union Régionale Nouvelle Aquitaine des Centres Sociaux, et dont le sujet principal est justement le développement du pouvoir d’agir (ou DPA).
Parmi les histoires que racontent ces films, celles de gens regroupés pour mener à bien un projet décidé en commun, trois d’entre elles relatent plus spécifiquement des expériences d’implication dans la vie locale, la vie citoyenne.
N’oublions pas que dans la définition telle que nous la partageons du pouvoir d’agir, il s’agit bien d’augmenter sa capacité à être libre, à trouver sa place dans son environnement immédiat et dans la vie de la Cité (n’est-ce pas ça : participer à la démocratie locale, être citoyenne, citoyen ?)
Dans ces trois histoires humaines (détaillées ci-contre), il est plus qu’intéressant d’assister, au-delà des réussites et parfois des échecs, à la manière dont les habitants regroupés constatent que leur union constitue leur force et qu’ils sont capables de mener à bien, ensemble, des projets portés par le collectif qui auraient vite avorté s’ils avaient été entrepris par des personnes isolées. En quelque sorte la démonstration éclatante à travers plusieurs situations que le pouvoir d’agir, dans sa dimension collective, n’est pas un vain mot et encore moins une vaine idée. Et aussi qu’ainsi rassemblés, les gens constituent une force qui ne peut pas être ignorée des institutions.
Les autres films de la série prolongent cette démonstration et mettent en lumière d’autres expériences et initiatives collectives souvent innovantes, relevant toujours du progrès social et de la transformation sociale.
Denys Piningre
Cinéaste documentariste
L’une de ces histoires dit comment, dans le gros bourg de Monein aux environs de Pau (64), après une projection du film de François Ruffin J’veux du soleil, un groupe s’est mis en place peu avant la campagne pour les élections municipales pour interpeller les candidats et leur suggérer d’associer largement les habitants et habitantes à leur prise de décisions et à la gestion de la commune. Une association, soutenue par le Centre Social, a été créée pour la circonstance et s’est donné le joli nom – fort explicite – de Mégaphone citoyen.
Une autre, dans la commune de Coulounieix-Chamiers en banlieue de Périgueux (24), décrit l’action d’un groupe de citoyennes et citoyens, le Conseil citoyen dont la création a été suscitée par la municipalité, pour accompagner un processus de réhabilitation d’un ensemble de logements sociaux et qui s’est développé en s’adossant au Centre social Saint-Exupéry. Le dit-Conseil joue pleinement son rôle en faisant entendre, avec plus ou moins de succès, la voix des habitantes et habitants du quartier au même titre que les partenaires institutionnels de l’opération et dans un rapport d’égalité.
Une troisième se déroule dans le quartier de Poitiers (86) qui porte l’appellation explicite de Trois cités. Là, ce sont encore des citoyennes et citoyens habitant des immeubles lourdement dégradés, qui ont formé le groupe Loc’Action, rassemblé autour de la recherche collective de solutions aux problèmes liés à leurs conditions de vie : problèmes de bruit dans une impressionnante barre d’immeuble, vétusté des locaux, et au-delà des questions de logement, des difficultés dues à l’inadaptation de la desserte des cités par les transports en commun… D’abord considéré comme une bande de trublions par le bailleur social, ce dernier en est venu à considérer Loc’Action, après plusieurs années de confrontation, comme un interlocuteur incontournable.